J’ai toujours adoré le huis clos. Les espaces fermés, l’isolement, les chambres, les espaces réduits. Enfant, je passais l’hiver dans une ville submergée dans le brouillard. Obligée de sortir pour aller à l’école, j’attendais le beau temps avec impatience pour ne plus sortir. En juin, je partais au mois de juin à la campagne et je restais jusqu’au mois de septembre chez mes grands-parents. C’était une maison adossée à une petite école entourée de forêts, car ma grand-mère était institutrice dans un village épars, constitué de fermes et maisons isolées, au pied du Montseny. On ne voyait personne sauf le facteur trois fois par semaine, que je ne voyais pas non plus puisque je restais tout le temps dans ma chambre. J’adorais. Mes grand-parents s’inquiétaient. “Victoria!, Elle s’est enfermée de nouveau?”, criait mon grand-père. “Je ne la vois pas dehors!”, disait-il. “Elle va tomber malade”, s’inquiétait ma grand-mère, car ils avaient tout l’air pur à me donner et ils n’avaient que ça tandis que moi je ne rêvais que de rester cloîtrée à la maison ou bien à l’école déserte qui, avec ses encriers en porcelaine, ses cartes accrochées au mur, sa balance ancienne avec les poids et la planche murale des os, muscles et nerfs offrait un encouragement inouï à toutes sortes de rêveries. C’est pourquoi j’ai longtemps caressé le rêve de pouvoir un jour rester confinée entre quatre murs.
Cependant, ce rêve, je n’ai réussi à le réaliser que cinquante ans après. Quand, il y a quelques années, j’ai enfin pu abandonner mon travail à l’extérieur, j’ai tout de suite compris que mon petit appartement ne me suffisait pas: j’avais besoin d’un espace plus réduit. Je me suis installée dans ma chambre, mais puisque même ses douze mètres carrés me paraissaient trop, j’ai choisi d’habiter mon lit. Une décision, il faut le dire, qui s’est avérée être une des plus enrichissantes de ma vie.
Jusqu’à maintenant. Mais depuis deux mois, malheureusement, le confinement n’a plus à mes yeux le charme qu’il avait. Strictement enfermés depuis mars, les premiers jours ont été beaux et terribles, excitants et effrayants. Les confinés vocationnels et pascaliens dont je fais partie, déjà et depuis toujours convaincus que le malheur est dans la rue et le bonheur dans la chambre, nous avons eu le sentiment d’avoir raison pour la première fois et avons pu déculpabiliser de notre manque d’intérêt à sortir. Cette première phase a été d’une grande beauté, en plus d’apaiser les remords de notre conscience agoraphobique, nous avons plongé dans un temps suspendu qui était en accord parfait avec notre soif de calme et de silence: il n’était plus nécessaire de se lever à six heures du matin ou de lire jusqu’à trois heures la nuit pour avoir l’impression d’être seul au monde. Le monde extérieur et le monde intérieur se confondaient dans une harmonie sans précedent. Par la suite, le bonheur s’est étiolé. Les morts on commencé à peser, les mauvaises nouvelles à aigrir les esprits et l’excès de virtualité à nous submerger dans un état bizarre de manque de solidité du corps. Pendant ces derniers jours, j’ai beaucoup réfléchi aux origines de notre malaise géneral, mais aussi à celles de mon malaise particulier, que j’imagine provoqué par le fait d’être obligée d’accomplir comme un devoir ce dont j’ai rêvé toute ma vie comme une liberté. Bref, comme mes concitoyens, j’attends anxieuse la fin du confinement. Pas pour sortir, mais pour cesser l’impuissance de ne pas pouvoir sortir et reprendre la puissance de pouvoir ne pas sortir.