Elsa Houzelles, libraire du Bal des ardents, nous propose sa sélection de livres en lien avec les thèmes du festival.
Thème : Raconter le travail
La Jungle, Upton Sinclair, éditions Le Livre de poche
Début du XXème siècle. Jurgis Rudkus, immigré lituanien, s’installe avec sa famille à Chicago. Afin de survivre, les membres de la famille commencent à travailler dans les abattoirs de la ville, énormes usines employant de nombreux étrangers. Les conditions de travail et de vie sont terribles et Upton Sinclair nous décrit la descente aux enfers de ces immigrés qui ont cru au rêve américain.
Avec La Jungle, Upton Sinclair nous touche au cœur en décrivant la condition ouvrière, ses luttes, ses misères, son désespoir mais aussi les collusions entre les trusts de la viande et le politique. Une belle leçon d’humanité !
Thème : L’incertitude
Sale temps pour les braves, Don Carpenter, éditions 10/18 en poche, Cambourakis en grand format
Abandonné dès sa naissance en pleine crise de 1929, Jack Levitt traîne ses airs de mauvais garçon et ses pulsions meurtrières dans la grisaille de Portland. Empoisonné par l’amertume qui fait bouillir son sang, Jack suit depuis toujours le parcours d’isolement que la société a prévu pour lui. Après l’orphelinat, la maison de correction ; après la prison du comté, la prison d’état. Jack a vingt-six ans quand il sort de San Quentin. Affranchi par la connexion qui l’a uni à son codétenu Billy Lancing, Jack tentera de se libérer de la solitude de la vie, son ennemie de toujours, à travers l’aventure conjugale et la paternité. Mais là encore, la liberté est hors de portée.
Un formidable roman d’apprentissage dans une Amérique des années 50-60 des laissés pour compte. Don Carpenter saisit ses personnages avec brio et tendresse et se montre sans pitié face à une société incapable d’accueillir la marginalité, la différence, l’incertitude. Un livre précieux.
Thème : Le paysage
L’Ancêtre, Juan José, Saer, Le Tripode
L’Ancêtre est inspiré d’une histoire réelle. En 1515, un corps expéditionnaire de trois navires quitte l’Espagne en direction du Rio de la Plata. Mais, à peine débarqués à terre, le capitaine et les quelques hommes qui l’accompagnent sont massacrés par des Indiens. Un seul en réchappe, le mousse: fait prisonnier, accueilli dans la tribu de ses assaillants, il n’est rendu à son monde que dix ans plus tard, à l’occasion d’une autre expédition naviguant dans ces eaux. De ce fait historique Juan José tire une fable universelle qui interroge le sens des destinées humaines et le pouvoir du langage. Arrivé à la fin de sa vie, le mousse se souvient comment, soixante ans plus tôt, il a été amené pendant toutes ces années à partager l’existence d’une tribu d’hommes anthropophages au point de bouleverser sa vision du monde…
C’est un grand livre, un de ceux qui restent, qui s’accrochent à la peau, qui bousculent. Le genre de livre qui fait que vous ne serez plus jamais le même… Un chef d’oeuvre, quoi !
Thème : Raconter l’autre
Et quelquefois j’ai comme une grande idée, Ken Kesey, éditions Monsieur Toussaint Louverture
Alors que la grève installée à Wakonda étrangle cette petite ville forestière de l’Oregon, un clan de bûcherons, les Stampers, bravent l’autorité du syndicat, la vindicte populaire et la violence d’une nature à la beauté sans limite. Mené par Henry, le patriarche incontrôlable, et son fils, l’indestructible Hank, les Stampers serrent les rangs… Mais c’est sans compter sur le retour, après des années d’absence, de Lee, le cadet introverti et rêveur, dont le seul dessein est d’assouvir une vengeance.
Ce livre, c’est une bombe ! On est emporté par le ton, le génie de l’écriture et la force de la description des rapports humains. Ken Kesey est un très grand auteur (on lui doit Vol au-dessus d’un nid de coucou et ce n’est pas rien…). A mon sens, avec Et quelquefois j’ai comme une grande idée, il atteint le génie.
Thème : Le huis clos
Le Chien noir, Lucie Baratte, éditions Le Typhon
Dans un pays lointain, la jeune Eugénie est mariée de force au mystérieux roi Barbiche par son père. Elle va devoir vivre recluse sur une île dans un château, son mari toujours absent, avec pour seuls compagnons, un majordome très spécial et le chien noir qu’elle a adoptée.
Conçu comme une relecture de Barbe-bleue, Le Chien noir raconte l’histoire d’une jeune femme et de son désir de vie et de liberté qui doit s’affranchir des ses peurs et lutter contre la noirceur et l’oppression d’un château et d’un homme pervers. Ce conte gothique nous happe du début à la fin et nous laisse une envie joyeuse d’émancipation.
Thème : mon pays
De A à X, John Berger, éditions de l’Olivier
Une femme écrit des lettres à son compagnon. Elle est libre, il est prisonnier politique et ils sont tous les deux sous le joug d’un état autoritaire. Il est question d’amour, bien sûr, mais aussi d’oppression et de résistance, de quotidien et de souvenirs. Tout en délicatesse et subtilité. De A à X est un texte magnifique.
Thème : L’enquête
Le Train zéro, Iouri Bouida, éditions Gallimard
Une gare perdue au fin fond de la Russie, dans la boue, le froid, les relents de chou et de vodka. Et toutes les nuits, un train qui passe… Nul ne sait d’où il vient, où il va, ni ce qu’il transporte. Dans ce no man’s land isolé du reste du monde vivent des gens qui aiment, espèrent, tuent et meurent, empoisonnés par l’attente d’une réponse qui ne vient jamais, par un mystère qu’il leur est interdit de chercher à connaître sous peine de mort.
C’est une enquête sans conclusion que nous donne à penser Iouri Bouida dans Le Train zéro. Une écriture au cordeau pour un texte court d’une puissance évocatrice incroyable. Qu’y a-t-il dans ce train ? Laquelle ou lesquelles de vos peurs, de vos fantasmes, de vos horreurs enferme-t-il ? Et surtout, avez-vous envie de le savoir ??
Écoutez le témoignage d’Elsa Houzelles.