“Écrire le travail”, par Joseph Ponthus

Par

“Le réel, c’est quand on se cogne.” Jacques Lacan

Je ne serai jamais, malheureusement, un écrivain de l’imaginaire. Je crois savoir ce que je veux et savoir ce que j’écris. Je n’ai jamais écrit, sinon le travail, que le réel comme disait Lacan. 

Je ne saurai jamais écrire comme Homère l’Odyssée qu’il a inventée et n’a jamais connue, ou pas, sans doute, on doute, ou peut-être ; Cervantès et Quichotte, Flaubert et sa Emma, Dumas et Dantès et ses Mousquetaires. Je m’en attriste profondément. Ce sont mes héros.

J’aimerais tant inventer une histoire de toutes pièces, des héros qui deviennent des archétypes, des salauds que l’on prend plaisir à haïr, des pays de rêve, des mondes perdus, des trésors et des îles révélés par des cartes mystérieuses. J’en rêverais mais je ne sais pas.

Je suis de tous, d’eux de lecture, bien entendu ; mais d’écriture sans doute plus par Montaigne, depuis sa tour d’Aquitaine, Barthas et Apollinaire dans les tranchées, Calaferte et son immense Requiem des innocents, Michon et ses Vies minuscules, Duras et son Été 80, par tous ces gens qui écrivent sur ce qu’est je crois le réel.

Depuis toujours, je n’ai su écrire que deux choses : l’amour et le travail, c’est-à-dire mon réel. Ou l’absence d’amour et le chômage qui ne sont que la face inverse, une fichue absence de réel.

De fait, je crois que pour moi, écrire le travail a toujours été une facilité en même temps qu’une manière de sublimer ce foutu truc qui nous oblige à mettre un réveil à sonner et faire des tâches qui nous répugnent ou dont on se tamponne le coquillard en échange d’un putain de salaire toujours trop faible au regard de la souffrance endurée.

Et cet étrange paradoxe sans cesse renouvelé de pouvoir aimer le travail, aimer un salaire de merde pour un travail que l’on croit aimer, que l’on vomit, peut-être cette sacrée conception judéo-chrétienne : “Tu gagneras ton pain à la sueur de ton front”.

Donc écrire en rentrant, tous les soirs, que ce fut à l’usine ou avant lorsque j’étais travailleur social, écrire quand j’étais étudiant. Ne pas tant écrire le travail que les interrogations que celui-ci induit. À quoi bon, au juste ? À quoi bon, tout ça, au plus juste ?

En faire deux livres. 

Moi qui ai toujours rêvé d’écrire un grand roman, un de la trempe d’un Russe de la fin du dix-neuvième siècle ou la plus belle chasse au trésor jamais imaginée voire flinguer le tout la langue et la narration-même comme un Beckett en extase, j’écris et publie deux livres sur le travail.

Et maintenant, c’est bon. Mon travail c’est écrivain, puisque je gagne pour l’instant des sous avec un livre. Drôle de travail, fabuleux même, le plus beau métier du monde. Mon travail, c’est d’écrire le prochain. Voilà ce réel que je me cogne aujourd’hui. 

Écrire le travail, désormais travailler l’écriture, le retournement serait facile. Je ne me vautrerai pas dedans et pourtant c’est un peu désormais ma situation. Je n’écrirai pas, je pense, sur mon nouveau travail d’écrivain. Ce serait trop facile. Il me faut être ailleurs, il faut continuer, il faut trouver un nouveau réel auquel se cogner.

Il me faut travailler.

Écrire est un travail.